De littérature à cinéma :Le cas d’Alain Robbe-Grillet
Sunday, January 13, 2008
Note: cet essai est fait à 2006.
Il est bien peu de films où il n’y ait un peu d’art, très peu de films où il y en ait beaucoup.
Il est beaucoup de livres où il n’y a aucun art, il en est quelques-uns où il y en a beaucoup.
Christian Metz
En 1966, répondant à une enquête des Cahiers du cinéma, Nathalie Sarraute déclarait : « Quel rapport y a-t-il entre les sensations produites par une œuvre littéraire, c’est-à-dire par l’écriture, sur un lecteur sensible aux qualités propres au langage littéraire, et celles que produisent sur les spectateurs les images cinématographiques? Pour moi, je n’en vois aucun.»[1]
Si on admit que Sarraute a raison en déclamant que la différence entre cinéma et écriture est radicale, faut-il admettre aussi qu’il s’agit de deux activités parallèles et étrangères l’une à l’autre et que l’alternance des productions, comme nous allons voir dans le cas d’Alain Robbe-Grillet, n’est que le fruit d’une simple alternance chronologique? La double et simultanée pratique d’écrivain et de cinéaste semble relever du paradoxe.
Le cas de Robbe-Grillet est représentatif, car non seulement il pratique ces deux activités alternativement et simultanément, il en les faisant pratique un nouveau hyper genre: ciné-roman, qui n’est d’ailleurs pas une partie négligeable de ses oeuvres créatives. Nous proposons donc le ciné-roman comme un nouveau point de vue sur ces oeuvres, une opération de pontage qui saute du domaine de la littérature à celle du cinéma. L’évolution du ciné-roman, particulièrement dans le cas de Robbe-Grillet que nous allons examiner en détail, nous démontrera avec plus de clarté non seulement la composition du ledit hyper genre et son problème de légitimité – il est encore et sera toujours dans le processus propre de se légitimer – mais aussi la nature de la transplantation technique parmi ces deux domaines, car le ciné-roman est jusqu’ici le témoin par excellence de cette entrée des romanciers sur la scène du cinéma. Après tout, le succès ou l’échec d’une telle transplantation est fortement utile en déterminant la potentialité de cette approche.
Ciné-roman : la naissance
Qu’est-ce que le ciné-roman? On est informé[2] que Louis Delluc a employé ce mot circa 1920 et André Malraux a touché le concept d’un film-roman dans son esquisse d’une psychologie du cinéma (1941). Bruce Morrissette propose que les jeux sont faits de Sartre est l’une des oeuvres le plus tôt qu’on peut nommer un vrai ciné-roman, la création délibérée d’un auteur qui a composé son texte dans l’intention d’être filmé[3]. Mais si écrire un texte pour filmer, comme l’a fait Sartre, se qualifie automatiquement pour un ciné-roman, un n’importe quel scénario acquière-il une valeur indépendante hors de la circulation du film? Concevoir un texte pour filmer, il me semble, n’est simplement pas assez. Ciné-roman signifie, au moins pour moi, une recherche authentique de transporter les techniques littéraires au cinéma (ou vice versa). Car bien que le défi à la parole écrite continue d’être l’un des moteurs principaux de l’invention cinématographique, la littérature fonctionne jusqu’à présent comme modèle de liberté pour le cinéma et la vigueur derrière le Cinéma des auteurs. Alain Resnais qui en est probablement un exemple le plus connu, insiste par exemple toujours la coopération avec les poètes (pour les courts métrages) et les romanciers (pour les longs métrages)[4]. Mais Resnais n’est pas le premier à briser la glace. Quatre ans avant Hiroshima Mon amour (59), le premier long métrage de Resnais, Agnès Varda avait déjà fait son La pointe courte[5] (55), qui est remarqué d’avoir adapté la forme de The wild palms de William Faulkner et qui est donc le premier à tirer l’attention critique sur un rapport littérature-film tout neuf.
Mais si l’initiative de Cinéma des auteurs vient de la littérature, ils se distinguent de l’adaptation traditionnelle ou le Cinéma d’art de façon qu’ils sont toujours conscients des nouvelles possibilités littéraires qui s’ouvrent au cinéma conventionnel. Partiellement grâce au Cinéma des auteurs, la richesse narrative du cinéma contemporain s’est accrue considérablement. En outre, s’ils cherchaient à renouveler le cinéma par des techniques littéraires, ils se sont rendu compte presque immédiatement que cette transportation de littérature à cinéma ne doit pas être strictement diminutive. À la différence de Marcel Pagnol[6] dont le cheminement de littérature à cinéma apparemment similaire a jamais abouti à cette pointe et dont le ‘sens de forme’ n’est après tout probablement pas assez développé, un point commun est dès le début achevé en ce qui concernant le rapport roman-film : la priorité du film sur le roman:
Le film n’a pas été écrit comme un scénario, traduit ensuite en cinéma. J’essaie de travailler bien en désordre, car j’aime que la focale d’un objectif précède parfois dans ma pensée une figure. J’aime aller du site à la ‘situation’, du travelling au tourment, du tempo d’un découpage à une pensée.[7]
Nous remarquons que Varda s’engage premièrement dans les matériaux filmiques et qu’elle s’en aperçoit ensuite le contenu et la structure. Sa méthode de travail reflète ce diagramme. Cette approche est adoptée plus tard par Robbe-Grillet qui, à cause de l’exigence des producteurs dans le début de sa carrière comme un réalisateur, a obligé d’offrir le découpage détaillé pour ses premiers deux films. Bien que Robbe-Grillet ait probablement plus de raison à adhérer à la gloire littéraire, sa déclaration est identique à celle de Varda. Tous les deux annoncent que le ciné-roman n’est qu’un appareil complémentaire pour le film, que le film est l’oeuvre.
Il s’agit de présenter un livre-aide-mémoire pour ceux qui ont vu le film, ciné-roman pour les autres.[8]
Le livre que l’on va lire ne prétend pas être une œuvre par lui-même. L’œuvre, c’est le film, tel qu’on peut le voir et l’entendre dans un cinéma. On n’en trouvera ici qu’une description.[9]
Le présent volume ne prétend pas être une œuvre littéraire : c’est seulement un document concernant une œuvre qui existe extérieurement à ce volume, et indépendamment : une œuvre cinématographique.[10]
Le présent récit de cette aventure n'est pas un roman, et ne constitue pas encore une œuvre cinématographique. C'est un projet de film, rédigé hâtivement (selon mon habitude pour une "continuité dialoguée" à strict but descriptif) pendant l'interruption assez longue qui a marqué l'écriture de La Reprise.[11]
Mais si le ciné-roman ou un volume, un récit, un document, un livre-aide-mémoire, ne possède pas de valeur littéraire (bien entendu qu’il ne possède encore non plus de valeur cinématographique), ne se prétend pas une vraie oeuvre, quelle est sa raison d’être? Pourquoi cherche-t-on à publier un tel texte? Qui va le lire en tout cas? Cette anomalie congénitale est destinée à être gênée par des réponses ambiguës. Robbe-Grillet annonce franchement:
Le livre peut ainsi se concevoir, pour le lecteur, comme une précision apportée au spectacle lui-même, une analyse détaillée d’un ensemble audio-visuel trop complexe et trop rapide pour être aisément étudiée lors de la projection. Mais, pour celui qui n’a pas assisté au spectacle, le ciné-roman peut aussi se lire comme se lit une partition de musique; la communication doit alors passer par l’intelligence du lecteur, alors que l’oeuvre s’adresse d’abord à sa sensibilité immédiate, que rien ne peut vraiment remplacer.[12]
Robbe-Grillet vise donc à légitimer le ciné-roman par son double rôle. Pour ceux qui ont la chance de voir le film, il propose qu’il faille une analyse détaillée de la composition audio-visuelle trop compliquée. Mais si le détail de la composition et du mouvement ne peut pas être registré dans la vitesse normale de la projection[13], cette situation donne-t-elle de la justification pour les descriptions verbeuses que Robbe-Grillet se hâte probablement assez d’appliquer dans le nouveau médium? Dans L’immortelle, par exemple, il y a une succession rapide des images mentales de l’héroïne, Leïa, se tenant debout contre divers arrière-plans (plan 5-10). Tandis que ces images ne durent que quelques secondes dans l’écran, leur équivalent dans le ciné-roman consiste en plus que sept pages. Étant mises à la place de vraies images, ces substitutes prolixes donnent l’impression de la fausse proportion et le rythme interrompu, une réponse psychologique qui mène à son tour l’échec de la communication. Car la réaction mentale rendue par quelques seconds de l’impact visuel ne peut pas de toute façon comparée avec celle d’une lecture d’une demi-heure. Après tout, les activités perceptuelles sont affectées par la durée et l’expérience cinématographique est mesurée plus ou moins par l’intégral de l’impact perceptuel composite dans une période du temps comparativement courte (normalement pas plus qu’une et demi-heure). Privées de cette caractéristique, les particularités du film sont presque perdues. C’est pourquoi le film n’est pas, au moins dans un certain sens, destiné à être étudié: si l’aspect perceptuel (l’expérience de voir le film) ne marche pas, le film ne marche pas. La lecture du ciné-roman après la séance ne complète pas notre perception du film ni se remplit de la signification qui manque[14].
Il faut que l’impact filmique, c’est-à-dire la manifestation des qualités cinématographique, soit concentré et bien taillé de façon qu’il soit immédiatement perçu et rapidement digéré (ou dans le cas qu’il ne contient pas d’information originelle, rejetée). Tous ceux qui sont au-delà de cette limitation psychologique qualifient encore probablement comme procédé littéraire, mais non plus pour le cinéma. À cet aspect le film n’est pas comme le roman ni la poésie, mais plutôt l’essai, où les morceaux des idées ont besoin d’être avalés d’un seul coup, afin que l’effet maximal soit obtenu. S’il est absolument nécessaire de fournir un moyen d’accompagner le film, ce sera certainement plus convenable d’utiliser des allusions concises au lieu de ces descriptions, où l’imagination du lecteur est libre[15] et le sens de la durée n’est pas accablé.
Pour ceux qui n’ont pas la chance de voir le film, la lecture indique-t-elle, dans le niveau de l’intelligence, la correcte direction de l’imagination? La métaphore de la partition musicale [16] ne se sert à mon opinion qu’à une situation idéale. Car si dans la lecture d’une partition musicale une faculté mentale exercée est capable d’interpréter avec haute fidélité l’apport visuel à une illusion auditive de la musique, cette interprétation est cependant assez réelle grâce à la neutralité du moyen fortement codifié. Les notes musicales, comme nous le savons, bien que la durée absolue et l’intensité absolue desquelles ne sont pas spécifiées, sont comparativement beaucoup plus fiable que notre langage moderne dans la tâche de la communication.
De plus, si la lecture des phrases dans un ciné-roman recourt à l’intelligence du lecteur, comme Robbe-Grillet l’a proposé, ne signifie-t-elle pas que le ciné-roman possède déjà une valeur littéraire ou prétend d’être une œuvre elle-même? Si ce paradoxe n’apparaît pas comme un grand souci (la possession de la valeur littéraire n’est jamais à juger arbitrairement), la lecture indépendante du ciné-roman pose bien des problèmes stylistiques.
Le ciné-roman est divisé, pour la commodité du découpage, en plans[17]. Cette disjonction apparente et arbitraire correspond à une caractéristique essentielle du cinéma: L’interruption du continuum spatio-temporel. Tandis que la littérature est aussi capable de donner cet effet, son moyen diffère de celui du cinéma et la façon dont nous percevons le continuum rétabli (celui psychologique) est différente. Dans le cinéma il est courant d’allonger le début ou la fin de la piste sonore vers le clip adjacent (nommé respectivement J-coupe et L-coupe), visant à ‘égaliser’ la coupure droite (ou même dans le cas de fondu). Mais dans la littérature il est agaçant de trouver le dialogue coupé en morceaux avec de longues descriptions du décor là-dedans. Encore une fois le correct rythme est interrompu et le lecteur, désorienté.
Mais si le cinéma est trop fragmentaire dans un niveau détaillé, il ne l’est pourtant point dans sa totalité. Il n’y aurait pas d’interruption visible dans un film, ni dans le scénario correspondant. Le roman, au contraire, ne pose pas de problème en se divisant en plusieurs chapitres vaguement connectés. Il est vrai que dans le cinéma le temps psychologique ou le temps perçu par le spectateur peut s’étendre sur une période du temps assez long, de quelques heures à un million ans, mais le temps physique de la séance devrait toujours moins que deux heures, sinon la concentration mentale et l’accumulation perceptuelle ne peuvent pas être maintenues. Il est absurde d’interrompre la séance d’un film et de recommence quelques jours plus tard – l’expérience est tronquée. Dans cet aspect le cinéma est encore comparable au théâtre, l’ancêtre duquel le cinéma avait été péniblement libéré[18].
Ciné-roman: l’évolution génératrice
Robbe-Grillet lui-même n’est pas tout à fait inconscient de ces problèmes. Dans sa troisième tentative du ciné-roman, Glissements progressifs du plaisir, la description robbegrilletienne comme un procédé littéraire est complètement abandonnée. Bien que l’auteur ait encore tendance à être précis en coutume, décor, mouvement de caméra, la distraction verbeuse que nous avons assistée dans les premiers deux cas est largement réglée. La nouvelle forme est nommée proprement continuité dialoguée, qui est justement la méthode traditionnelle à écrire un scénario. Cette démarche habituellement adoptée est en effet la forme plus convenable à accompagner un film, car elle se concentre sur la continuité et le dialogue, comme le nom l’indique. D’ailleurs, le dialogue est trop souvent l’élément le plus perceptible dans le film, qui se faufile à travers la foule des images et donne cette dernière une continuité concrète[19].
De plus, si Robbe-Grillet avait senti le problème qu’après tout, le ciné-roman n’est pas destiné à être lu de façon autonome (à savoir, sans jamais le film), il est pourtant extrêmement utile à connaître l’évolution de sa forme propre.
Ces descriptions présentent cependant un double intérêt (pour les gens, bien sûr, que cela intéresse) : d’une part la possibilité de se reporter à un découpage exhaustif reproduisant l’architecture du film (son squelette et non sa chair), et donc de s’arrêter à loisir sur tel ou tel plan qui dure à l’écran moins d’une seconde, d’autre part la faculté de suivre un œil critique l’évolution génératrice d’un film, c’est-à-dire son histoire, en prenant conscience des étapes successives et contradictoires de son élaboration.[20]
Il est intéressant de voir qu’après avoir évalué le résultat des premiers deux ciné-romans, bien que Robbe-Grillet insiste encore que la description pourra être utile à analyser le film, il souligne présentement l’architecture (squelette) et non pas l’indication de la perception (chair). Contrairement à la perception immédiate et fluide de l’information sensorielle, la structure d’un film (ou d’un roman) n’est pas perçue, mais plutôt conçue sans précision. Le ciné-roman‘rénové’, surtout la combinaison du synopsis et de la continuité dialoguée[21], peut épargner du travail, si jamais il y en a besoin.[22].
Ce nouvel ordre, auquel Robbe-Grillet m’apparaît maintenant assez satisfaire, n’est cependant pas fait dans une journée. Il y a une aussi longue absence entre L’immortelle et Glissements progressifs du plaisir. On se demande pendant cette période existent-ils des documents concernant les trois films; quelle forme ils ont adoptée; pourquoi Robbe-Grillet cesse-t-il de publier ces textes sous la forme de ciné-roman? C’est en répondant ces questions que nous allons comprendre la métamorphose que le ciné-roman a due subi afin d’établir un meilleur document à accompagner le film – ladite évolution génératrice.
Dans un numéro spécial d’Obliques, Robbe-Grillet a trouvé pour la première fois la possibilité de publier ces textes qui, pour des raisons diverses, sont jusqu’alors hors de la série (trois ciné-romans) publiée chez Édition Minuit. Il écrit :
Trans-Europ-Express est le premier de mes films pour lequel il n’y eut aucun découpage préétabli, ni même de scénario complet avant le tournage. On trouvera ici le début du projet initial (qui connut ensuite deux autres états), des notes prises en cours de tournage et les premières pages d’un ‘ciné-roman’. Celui-ci, rédigé en 1966-1967 peu de temps après la sortie du film, fut interrompu très vite, probablement pour deux raisons conjointes. D’une part les difficultés signalées dans le texte même. D’autre part la possibilité qui s’est offert alors de travailler sur un nouveau récit cinématographique : L’homme qui ment. Je compte publier un jour, cependant, le ‘livret’ de tous mes films, sans doute sous une forme comparable à celle adoptée déjà pour Glissements progressifs du plaisir[23].
Ce souhait lui est finalement accordé. En 2005, un tel ‘livret’ de 711 pages apparaît chez Fayard. Cette compilation assemble, exactement comme Robbe-Grillet l’avait souhaité, des éléments, la plupart non édités, qui ont assisté la naissance de sept films. Naturellement, aucun d’entre eux n’est l’équivalent d’un ciné-roman, un texte désigné à être lu indépendamment avec sa totalité selon ses limitations. Leur existence, leur forme actuelle éprouve plutôt une sorte de faillite d’une telle forme. Pourquoi le ‘projet de ciné-roman’ (titre ajouté par les éditeurs) pour Trans-Europ-Express a-t-il été abandonné, comme Robbe-Grillet l’avoue, après quelques pages? Quelles sont «les difficultés signalées dans le texte même»? Examinons donc les deux premières phrases qui nous donneront une bonne indication du reste:
Je suis dans un compartiment de chemin de fer, neuf, luxueux mais aux lignes strictes, modernes, tout en surfaces unies et brillantes, glaces, laque, acier chromé, formant partout des miroirs qui renvoient de directions inattendues les multiples reflets d’un décor en mouvement, reflets identiques, ou pâlis, ou plus éclatants parfois que l’original, et parfois inversés de façon déroutante. Des glaces sans tain, dont le pouvoir de réflexion varie selon l’angle d’incidence, se mêlent aux miroirs véritables, du côté du couloir comme vers l’extérieur, ce qui rend difficile, le plus souvent, de déterminer avec certitude où est la réalité, et où son image[24].
Ces phrases assez familières sont-elles à aider une ‘analyse détaillée d’un ensemble audio-visuel trop complexe et trop rapide pour être aisément étudié lors de la projection’, comme l’auteur l’a proposé plus tôt? Non, malheureusement ceci n’est pas un ciné-roman mais plutôt un vrai roman comme Le Voyeur ou Projet d’une révolution à New York, où les objets et les qualités tout à fait non filmables sont décrits en détail. Robbe-Grillet décide donc à écrire un autre roman et l’adapter ensuite au film? Peut-être. Mais, quelques paragraphes plus bas, lorsque les actions entrent en scène, cette description robbegrilletienne perd rapidement le rythme.
Quelques pas encore et Jean pénètre dans son compartiment, où il est accueilli par deux autres personnes : Marc, un producteur de cinéma avec qui notre auteur projette de faire un film, et Lucette, qui doit être quelque chose comme secrétaire de réalisation ou script-girl. Brèves salutations cordiales, où les trois personnages se trouvent nommés. Jean, aidé de Marc, se débarrasse en même temps de son imperméable qu’il dépose sur le porte-bagages avec sa petite valise; après avoir placé son Express dans l’étroit filet inférieur, il s’assoit dans le coin fenêtre à côté de Lucette, tout en jetant un regard circulaire aux glaces et chromes qui l’entourent et en prononçant quelque phrase banale sur la beauté plastique de ce train[25].
Tout un coup chacun des mots sont filmable. Le scénario est devenu concis et vif, tout comme un scénario ordinaire sans aucune ambition littéraire. Bien qu’il s’agisse d’un même événement – celui de Jean entrant dans le compartiment – les angles, les rythmes de ces deux descriptions sont tellement différents qu’ils ne peuvent pas coexister dans un même texte. Puisqu’il «n’y eut aucun découpage préétabli», il m’apparaît que Robbe-Grillet ne pourra plus décrire les images de sa façon typique. Étant donné l’existence du film, l’actualisation des images, sa vue de l’événement est totalement ‘bloquée’ et les descriptions détaillées, assez souvent le moteur générateur de la narration, sont devenues impossibles. C’est pourquoi le texte s’arrête presque brusquement, écarté par une observation purement théorique: Brèves réflexions sur le fait de décrire une scène de cinéma. Antinomie du film et du roman. Ces réflexions pas du tout brèves (car elles sont même plus longues que le propre ciné-roman) vérifient notre soupçon.
Jamais il ne m’est arrivé, en écrivant un roman, de me placer devant un objet réel, ou devant son image (agrandissement photographie, affiche de cinéma, calendrier, page de couverture), afin d’en donner une description plus précise. […] J’ai, de toute évidence, un point de vue contraire lorsque je réalise un film : je n’aime que les décors naturels et c’est leur observation directe qui me guide dans cette partie importante de l’écriture cinématographique que constitue le tournage (choix des objectifs photographiques, des angles de vue, des cadrages, découpage en plans, mouvements d’appareil, etc.), sans parler de la présence matérielle et vivante des comédiens. […] Ce contact immédiat et permanent avec une réalité contraignante, si manifestement extérieur à lui, représente pour l’écrivain (même s’il s’agit du nouveau romancier dit «objectal», chez qui on a cru reconnaître de bonne heure la vocation cinématographique!) l’opposé absolu de son univers et de ses habitudes en matière de création littéraire.[26]
Comme si ce n’est pas encore assez clair, il ajoute :
Et voici qu’aujourd’hui je me trouve devant un film terminé, dont le pouvoir, comme celui de n’importe quel film, ne peut venir que d’un mélange complexe de sons et d’images en mouvement, mais que paradoxalement j’ai entrepris de présenter sous la forme d’un volume de librairie…[27]
À cause de cette contradiction irréconciliable, Robbe-Grillet s’est arrêté publier les ciné-romans pour ses films qui suivent[28]: il y en a des raisons pratiques, mais celle-là est la plus importante – il ne peut plus produire les descriptions après que les méta-images ont été réalisées – «décrire plan par plan le film, tel qu’il se trouve dans son état final, n’est ni passionnant pour l’auteur ni conforme à l’esprit de sa création.»[29]
Mais s’il est vrai que recréer un ciné-roman pour un film déjà achevé n’est pas en conformité avec l’esprit créateur, pourquoi l’inverse est-il toujours acceptable sinon bienvenu[30]? Signifie-t-il la dominance de la littérature sur le cinéma, puisque toutes les adaptations vont de la littérature au cinéma[31]; ou la dominance du cinéma sur la littérature, car le cinéma seul est la forme originelle et définitive, comme la vie propre qui s’ouvre à l’interprétation mais jamais à la duplication? Pour résoudre ces questions, il faut nous interroger davantage sur le procédé créateur lorsque la distinction entre littérature et cinéma n’existe pas encore.
Dans la préface de L’année dernière à Marienbad, Robbe-Grillet écrit :
Concevoir une histoire à filmer, il me semble ce devrait être déjà la concevoir en image, avec tout ce que cela comporte de précision non seulement sur les gestes et les décors, mais sur la succession des plans au montage[32].
Si c’est le cas de Robbe-Grillet, est-il aussi le cas pour tout le monde? Est-il possible que dans la tête d’un écrivain, il n’y ait que des mots lorsqu’il n’écrit que des mots? Ou bien s’ il s’agit d’une histoire conventionnelle, non pas un scénario, n’y aura-t-il pas d’image, de son, de geste, de décor ou plus vaguement peut-être, de succession de ces informations? Même Sarraute, qui ne s’imagine jamais écrire pour le film, ne sera pas en mesure de les nier. Car les mots, les phrases dans ses romans sont essentiellement des fragments de son qui, avant d’être fixés à une forme verbale, d’être donnés un sens, n’existent qu’en façon éphémère dans un continuum sonore. Sarraute l’appelle tropisme car il lui semble que leurs motions déterminées ont une expressivité particulière: c’est cette particularité qu’elle essaie constamment à saisir.[33].
Un romancier comme Robbe-Grillet, lorsqu’il se met en route pour écrire, son matériel préliminaire est un composite d’information typiquement vague, fluide et abstrait, comme nous l’avons vu plus tôt. Contrairement à l’approche de certains (Metz, par exemple), qui soulignent la distinction de facto entre le matériel scriptural et les matériaux filmiques, nous proposons un itinéraire qui commence par une étape (même avant l’avant-projet, comme Robbe-Grillet l’a nommé) où ces distinctions n’existent pas. Il faut préciser que ces méta-images ou métason ne possèdent aucun détail et aucune objectivité. Un geste, un décor, qui dans le cas de Robbe-Grillet catalysent souvent des descriptions précises, sont complètement abstraits. Toutes les précisions ne viennent qu’après, d’un effort strictement stylistique. Voilà la distinction entre la précision de la description et l’exactitude objective.[34]
Mais si toutes les méta-images sont vagues, d’où viennent le style personnel et le thème personnel qui font de chaque écrivain son individualité? En fait, même dans cette étape, ces méta-images forment déjà une Gestalt bien reconnaissable, en la terminologie de Robbe-Grillet, une ‘cellule génératrice’, la pourvoir psychologique de quelle demande avec persistance sa réalisation. Selon Robbe-Grillet, toute narration provient d’une cellule génératrice qui est le noyau, la réalité la plus réelle de la création. Dans L’immortelle c’est la chambre ou N ou le narrateur regarde furtivement à travers des jalousies tout ce qu’il s’imagine (pour nous aussi) à voir[35]. Dans le dernier ciné-roman de Robbe-Grillet, C’est Gradiva qui vous appelle, la cellule génératrice est annoncée officiellement au début:
Cellule génératrice : une grande pièce nue, presque sans meubles, dans une casbah des premiers contreforts de l’Atlas, à proximité de Marrakech. Des ouvertures de dimensions réduites donnent de différents côtés, fermées par des volets de bois, peut-être à l’Andalouse. Une des parois, dépourvue de la moindre fenêtre, est peinte en blanc cru et sert d’écran pour projeter des diapositives.[36]
Cette perspective ‘générative’, malgré son apparition tardive dans l’écriture de Robbe-Grillet, avait néanmoins été mise de plus en plus de valeur. Dans le même texte, l’auteur souligne que non seulement le texte en question est le résultat d’un processus génératif, qu’il est toujours dans le processus même de générer:
[…] Si je préfère néanmoins en publier sans attendre le texte hypothétique, c'est que cela ne peut en rien nuire à l'accomplissement du projet, peut-être même au contraire. Et de façon un peu paradoxale, son ouverture actuelle, les options qu'il laisse souvent libres entre plusieurs solutions possibles, les indications de mise en scène, de jeu d'acteur, de montage, de bande sonore, etc., qui rompent sans cesse le déroulement de l'intrigue et l'illusion réaliste recherchée dans les œuvres du commerce, ne constituent en rien selon mon point de vue une gêne pour la lecture, ni un empêchement d'entrer dans ce monde imaginaire.[37]
Si un livre déjà fini peut être considéré ne contenir qu’un ‘texte hypothétique’, à quel titre la critique se trouve, qui est fondée conventionnellement sur ce qui est fait et comment est-il fait? Mais si même un film, par exemple L’Éden et après, lorsque le montage définitif en a été déjà produit, s’ouvre encore aux nouvelles possibilités et s’arrangeait pour un nouveau film, N. a pris les dès[38], pourquoi un roman doit-il être définitif? À part des aspects formels qu’il contient, qui renvoient à la fois leur structure et leur évolution générative, il n’y a rien de définitif. Roman ou film, Robbe-Grillet a essayé de montrer, sont constructions ouvertes. Cette caractéristique essentielle est marquée également par les éditeurs de Scénarios en rose et noir:
[…] la forme n’a cessé de se métamorphoser, a adopté un nouveau visage à chaque livre. Réflexif également, comme tout le mouvement de l’écriture chez Robbe-Grillet, qu’elle soit fictionnelle, théorique, romanesque voire promotionnelle: l’un des invariants formels de ses films est en effet l’insistance sur les distorsions du récit, qu’elles soient soulignées par un personnage, ou encore par l’écart entre l’image et le son, comme par les effets de répétition opérés au montage.[39]
Un autre aspect important de C’est Gradiva qui vous appelle est qu’il est le premier ciné-roman publié avant que le film ne s’achève (même avant que le tournage ne commence). Dans ce cas il n’y aura certainement pas question que ce texte puisse d’une façon ou d’une autre compléter le film. Il s’est avéré que Robbe-Grillet ne peut pas garantir la qualité du film, puisqu’il aura été tourné par une autre personne, un apprenti. En plus, il est également incertain que dans quelle mesure ‘son film’ va être réalisé. Le texte publié sert donc à un rapport, un document de ses idées originelles avant qu’elles vont possiblement être tortues :
Si le film se tourne l'hiver prochain, mon jeune associé, Dimitri de Clercq[40], qui assurera la plus grande part de la réalisation, devra en revanche opérer certains choix tenant compte des contraintes financières, des décors naturels qu'il aura retenus et des multiples aléas climatiques ou humains.[41]
La tâche de tourner un film pose des problèmes sérieux à ceux qui ne sont pas en bonne santé – il s’agit normalement du travail dur en plein temps – lorsque l’écriture ne demande qu’une demi-heure par jour avec un stylo.[42]. Sans doute ce problème crucial est la vraie cause que Robbe-Grillet avait dû abandonner «l’oeuvre», ce qui produit de façon intéressante une situation similaire à celle de L’année dernière à Marienbad. Après tant d’années de réaliser un film sans scénario, sans découpage préétabli, Robbe-Grillet s’est trouvé malheureusement une fois de plus à écrire un scénario sans espoir de le réaliser[43]. Dans ce sens, déclarons avec confiance que seulement C’est Gradiva qui vous appelle et L’année dernière à Marienbad sont vraiment des ‘romans’, car ils possèdent certainement de la valeur littéraire, à l’exception de laquelle Robbe-Grillet n’a rien plus à nous offrir.
Ciné-roman: la transportation du style
Robbe-Grillet fut considéré, du début de sa carrière de romancier, d’avoir muni ses romans avec une qualité «cinématographique». L’un de ses premiers critiques, Roland Barthes, remarque:
[Les descriptions de Robbe-Grillet] se déclenchent spatialement, l’objet se décroche sans perdre pour autant la trace de ses premières positions, il devient profond sans cesser d’être plan. On reconnaît ici la révolution même que le cinéma a opérée dans les réflexes de la vision[44].
La vraie nature de ces descriptions a fait déjà l’objet d’une petite recherche accomplie. Nous ne proposons donc ici que réaffirmer la conclusion : loin d’être cinématographique, une expression plutôt dégradante selon Robbe-Grillet, ces descriptions doivent être justifiées leurs valeurs à l’intérieur de ce genre littéraire: et elles le sont. Car
il y a une différence reconnaissable entre la description littéraire de l’action visuelle et la tentative de décrire en mots quelque chose qui va être reproduite visuellement. Dans ce dernier cas, comme nous l’avons su de l’expérience d’un scénariste, les mots ne sont qu’un expédient.[45]
Il n’est pas si difficile à voir que dans ce cas-là la description est absurde littérairement qui fait des demandes excessives sur l’imagination visuelle du lecteur, exactement le genre de malentendu concernant les premiers critiques de Robbe-Grillet susmentionnés. Ajoutant cette fausse interprétation par une ridiculisation, ils déclarent que Le voyeur peut être ‘adapté facilement au cinéma[46]’. Quant à La jalousie, la narration purement subjective par excellence, ne doit-on pas l’imaginer adapté au cinéma même plus facilement? Malheureusement, un cas similaire nous suffit de démontrer qu’une telle adaptation ne serait qu’un échec[47] où lesdites qualités cinématographiques sont en conséquence manquantes.
Quelle est donc la qualité cinématographique? Comment les descriptions Des gommes se distinguent-elles de celles de L’année dernière à Marienbad? La distinction en est en fait très claire: dans le premier cas, ou bien celui du Voyeur et de La jalousie, les descriptions sont toujours immobiles, limitées à l’intérieur d’une image qui possède ou bien une précision tout à fait mécanique ou bien une qualité héritée de l’art visuel à deux dimensions. La qualité (ou technique) cinématographique au contraire n’existe qu’entre les images et par conséquent hors de la portée de la peinture (composition visuelle) ou de la photographie (reproduction mécanique).
Bien que Robbe-Grillet aurait su dépeindre une image avec une précision considérable, il n’est pas, selon notre analyse, qualifié automatiquement pour la tâche d’un réalisateur. Les qualités cinématographiques d’un film de Robbe-Grillet, s’il y en a quelques-unes, ne sont acquises qu’après nombreuses expérimentations dans le domaine propre du cinéma. Nous ne prétendons pourtant pas, à cause de la nature de notre recherche, à diriger une étude exhaustive sur ce sujet. Ce qui nous intéresse à présent n’est que cette transition même de la littérature au cinéma (d’écrire pour le cinéma à n’écrire plus pour le cinéma): nous avons raison de croire que lorsque Robbe-Grillet s’est plongé dans l’entreprise filmique, il n’avait pas les mains totalement vides.
Robbe-Grillet amorça sa carrière littéraire comme un romancier. Mais dans les merveilleuses années soixante, encouragé par l’immense succès de L’année dernière à Marienbad avec sa directe participation, devenant conscient que faire des films est non seulement possible mais aussi nécessaire[48], Robbe-Grillet s’est consacré à la réalisation des films et il en a parvenu à six[49]. La production scripturale de la même période, de 1961 à 1975, peut-on remarquer, est comparativement peu abondante: à l’exception de deux romans conventionnels, tous ses livres sont ou bien les ciné-romans (3) ou bien les textes liés avec l’image (4). Il est à peine douteux qu’une telle charge intensive du travail visuel ait dû produire un impact appréciable sur l’esthétique de Robbe-Grillet[50].
Ce changement est-il arrivé par hasard? Ou bien que Robbe-Grillet va sûrement au cinéma, une façon ou l’autre? Comme toutes les situations pareilles, un événement se produit toujours avec des causes extérieures et intérieures. C’est sûrement grâce à un malentendu (que l’auteur du Voyeur est déjà capable de faire un film) que Samy Halfon[51] avait proposé Robbe-Grillet un projet dans lequel il écrit et réalise, mais étant donné l’atmosphère des années soixante, l’arrivée de nouveaux romanciers sur la scène du cinéma me paraît inévitable.
De l’autre côté, quelle est la cause intérieure qui Robbe-Grillet ‘propose’ finalement une forme cinématographique? Examinons donc Dans le labyrinthe, un roman de Robbe-Grillet publié en 1959, immédiatement précédant le changement de direction susmentionné, à fin de savoir comment la recherche de l’innovation formelle avait forcé figurativement l’auteur à chercher un nouveau moyen d’expression. Dans le labyrinthe, bien qu’encore loin d’être filmable, possède pour la première fois de vraies qualités cinématographiques.
La narration traditionnelle est commodément située au milieu d’un langage figuratif que Robbe-Grillet appelle anthropomorphique. Dépourvu de ces adjectives éculés et se concentrant sur les verbes un roman devient de nouveau frais comme L’étranger de Camus (la dernière partie exclue). Ceux que Robbe-Grillet ajoute à cette formule sont des descriptions méticuleusement précises et importunément abondantes. La description robbegrilletienne est encore, en sa façon propre, une métaphore. Elle diffère du genre de description apparemment similaire qui se trouve dans un livre de mathématique en qu’elle ne se lie jamais avec un objet concret. Elle part d’un objet imaginaire et chaque nouvelle ligne de précision accumulée n’ajoute pas à sa concrétisation mais son ambiguïté, sa multiplicité. Ces descriptions atteignent donc plus ou moins au même effet produit par un poème de Rimbaud ou Mallarmé, où la densité et la collision des adjectives les font plus destructives que constructives.
Le passage au début de Dans le labyrinthe nous démontre cependant une nouvelle tendance rhétorique destinée à l’ambiguïté et la multiplicité: la répétition.
Je suis seul ici, maintenant, bien à l’abri. Dehors il pleut, dehors on marche sous la pluie en courbant la tête, s’abritant les yeux d’une main tout en regardant quand même devant soi, à quelques mètres devant soi, quelques mètres d’asphalte, mouillé; dehors il fait froid, le vent souffle entre les branches noires dénudées; le vent souffle dans les feuilles, entraînant les rameux entiers dans un balancement, dans un balancement, balancement, qui projette son ombre sur le crépi blanc des murs. Dehors il y a du soleil, il n’y a pas un arbre, ni un arbuste, pour donner de l’ombre, et l’on marche en plein soleil, s’abritant les yeux d’une main tout en regardant quand même devant soi, à quelques mètres seulement devant soi, quelques mètres d’asphalte poussiéreux où le vent dessine des parallèles, des fourches, des spirales[52].
C’est frappant de voir comment la typique description robbegrilletienne est transformée par cet usage habile de répétition, qui est l’un de procédé littéraire le plus vieux. N’importe quel vers de description objective purement factuel, répété avec rythme, acquerra une aura incantatoire, une transe ritualiste.
Cet effet est ‘illustré visuellement’ par le passage au début de L’année dernière à Marienbad, où la répétition des phrases est accompagnée par le travelling répétitif d’un décor baroque dans un couloir interminable.
Une fois de plus, je m’avance, une fois de plus, le long de ces couloirs, à travers ces salons, ces galeries, dans cette construction – d’un autre siècle, cet hôtel immense, luxueux, baroque, - lugubre, où des couloirs interminables succèdent aux couloirs, - silencieux, déserts, surchargés d’un décor sombre et froid de boiseries, de stuc, de panneaux moulurés, marbres, glaces noires, tableaux aux teintes noires, colonnes, lourdes tentures, - encadrements sculptés des portes, enfilades de portes, de galeries, - de couloirs transversaux, qui débouchent à leur tour sur des salons déserts, des salons surchargés d’une ornementation d’un autre siècle, des salles silencieuses…[53]
On voit bien que cette fois la répétition est exécutée même plus exhaustivement. Tout le paragraphe se répète sur lui-même à une seule exception ou variance: je m’avance. Cette expression se transforme dans la deuxième occurrence à «si l’oreille elle-même de celui qui s’avance», et la troisième fois, «je m’avançais». La variation est identique en effet à celle de «dehors il pleut…dehors il fait froid…dehors il y a du soleil…» et quelques paragraphes plus tard, «dehors il neige». Évidemment, la phrase qui est en variation, ou plus précisément l’indication du temps et de la modalité, est la clef à empêcher la redondance purement répétitive et à la transcrire au domaine de la multiplicité.
Si la répétition, un procédé typiquement scriptural, a trouvé son usage équivalent dans le moyen filmique, l’immobilité (appelée aussi le cadre figé, demie-geste), en tant qu’une technique qui se trouve déjà en Le voyeur et abondement en Dans le labyrinthe, est plutôt magnifiée dans sa version filmique. On lit par exemple en Dans le labyrinthe:
Ceux-là font des gestes démesurés et des contorsions violentes du visage, arrêtés net en plein développement, ce qui en rend la signification également très incertaine; d’autant plus que les paroles qui jaillissent de toutes parts ont été comme absorbées par une épaisse paroi de verre.
Bien que le fond de leur désaccord ne soit pas facile à démêler, la violence en est indiquée suffisamment par le maintien des antagonistes, qui se livrent l’un comme l’autre à des gesticulations démonstratives, prennent des attitudes théâtrales, font des mimiques exagérées. [54]
Et on se souvient bien les plans figés dans L’année dernière à Marienbad, immédiatement après la performance théâtrale au début, où les spectateurs sont ‘pris’ au milieu de leurs conversations[55]. Ces figures de fantôme «morts depuis longtemps sans doute» interrompent et recommencent leurs actions sans perdre aucun naturel. En L’immortelle, la même technique existe:
Plan 309: Devant la vitrine de l’antiquaire: […]L apparaît dans l’image, figée dans une pose rigide, désignant la statuette de sa main tendue. […]Personne ne bouge jusqu’à la fin du plan.
Plan 310: […]tous ces mouvements sont encore plus lents, étranges, à la fois flottants et excessifs, comme séparés de leur contenu.[56]
Tout comme le gros plan, qui n’a pas d’équivalent dans la littérature[57], l’immobilité, provenue d’une obsession spécifique de nouveaux romanciers[58], une fois employée dans un milieu directement perceptible, est certainement plus irrésistible. Chaque détail est non seulement reproduit, mais aussi magnifié. Le fait que la motion des images s’arrête (surtout quand la caméra bouge encore mais ses objets restent rigides) se distingue du reste des images, grossissant leur signifiance. Un tel effet est impossible dans sa forme textuelle où une description n’est pas perceptiblement différente avec une autre.
Le langage verbal, au moins le langage moderne, est pauvre de façon dénotative, non-spécifique et riche de façon connotative, lorsque le langage imagier[59] a une richesse dénotative (spécifique, immédiat, actualisé) et une pauvreté connotative. «L’image est toujours-d’abord une image», a dit Metz, et
elle reproduit dans sa littéralité perceptive le spectacle signifié don’t elle est le signifiant; par là, elle est suffisamment ce qu’elle montre pour ne pas avoir à le signifier, si l’on entend ce terme au sens de «signum facere», fabriquer spécialement un signe. Bien des caractères opposent l’image filmique à la forme préférée que prennent les signes – arbitraire, conventionnelle, codifiée. Ce sont autant de conséquences découlant de ce que dès l’abord l’image n’est pas l’indication d’autre chose qu’elle-même, mais la pseudoprésence de ce qu’elle-même contient.[60]
D’un côté, la description d’une image n’est jamais assez dénotative à effacer son ambiguïté, même avec une précision robbegrilletienne; de l’autre, exactement parce que l’image est d’abord une image – la reproduction mécanique d’un morceau du monde réel – elle court le risque de ne pas être assez signifiante. Par exemple, la première phrase de L’immortelle est : les anciennes murailles de Constantinople[…]. Voilà une expression très littéraire. Ce que nous voyons sur l’écran est des murs dont un examen approfondi révèle qu’ils sont peut-être des anciens murs, mais comment est-il possible que nous sachions qu’il s’agit des anciens murs de Constantinople dont le simple nom évoque le sens de l’antiquité? La connotation culturelle et idéologique facilement transférée par la simple prononciation de «Constantinople» est une mission impossible pour la caméra. Et si l’image est déjà problématique, la musique qui ne s’attache à aucune signifiance concrète, ne peut qu’être associée avec des termes anthropomorphiques comme «déchirant», «moins violent, plus nostalgique», qui nous amusent puisqu’ils sont exactement les termes que Robbe-Grillet n’emploie jamais dans ses romans.
Si l’emploi de l’immobilité dans le Cinéma des auteurs est frappant de façon inoffensive, celui de la fausse continuité indigne plusieurs techniciens. En L’immortelle, il y a une scène où N revient dans la jardin, cherche le morceau de papier sur laquelle s’écrit l’adresse de L. lorsqu’il l’a trouvé, il l’ouvre dans un plan américain. Ce plan n’est pas suivi cependant par le gros plan qui va habituellement montrer le contenu de papier. Nous voyons plutôt la séquence suivante : N la jette dans l’air et part (plan 126); le gros plan : un blanc papier (127); elle est jetée (128); elle revient, même plus grosse qu’avant (129); elle est jetée une fois plus, dans un angle différent[61](130). Cette séquence correspond en fait aux simples phrases comme celles-ci :
Je trouve le morceau de papier; je la déplie et je la jette (les actions); il n’y a rien sur le papier(le gros plan); c’est absurde! Je n’arrive pas à y croire! (jeter avec colère) un blanc papier! (le plus gros plan) pourquoi? (jeter dans un désespoir)
Si nous les comparons avec le texte suivant en Dans le labyrinthe:
Porte, couloir, porte, vestibule, porte, puis enfin une pièce éclairée, et une table avec un verre dont le fond contient encore un cercle de liquide rouge sombre, et un infirme qui s’appuie sur sa béquille, penché en avant dans un équilibre précaire. Non. Porte entrebâillée. Couloir. Escalier. Femme qui monte en courant d’étage en étage, tout au long de l’étroit colimaçon où son tablier gris tournoi en spirale. Porte. Et enfin une pièce éclairée: lit, commode, cercle blanc. Non. Au-dessus de la commode une gravure encadrée de bois noir est fixée.[…] Non. Non. Non.[62]
Nous voyons bien que les actions récurrentes hors de leur ordre chronologique se comportent comme des négations, comme des efforts à se libérer d’un continuum narratif et que l’effet produit par un tel effort diffère d’un moyen à un autre. Dans la narration textuelle, les négations sont vraiment très anticonformistes et dans la narration filmique, le scandale est plutôt manifesté par la fausse continuité. Il nous semble que dans le cas littéraire, l’exigence de la continuité et l’exigence de la réalité superficielle sont moins fortes que celles dans un cas immédiatement perçu. Il s’agit donc d’une distinction classique dont Lessing a parlé qui nous conduit à un autre exemple.
En L’immortelle, il y a des fois que le dialogue est en turc ou grec. Cela est fait par exprès – l’auteur vise à maintenir la subjectivité du narrateur qui, étant un touriste à
Nous avons vu de toutes évidences que les procédés littéraires simples et courants, lorsqu’ils sont aéroportés au cinéma, servent assez effectivement à détruire le «cinéma de papa» par leur ingéniosité. Ceci est une préoccupation majeure du Cinéma des auteurs, surtout celle de ses premières années. Les ‘auteurs’ n’inventent pas de technique cinématographique de rien. Ils emploient plus souvent leur répertoire littérature, qui est assez à produire un effet choquant. Car bien que dans Hiroshima mon amour ou L’année dernière à Marienbad, la complexité narrative et la densité linguistique n’aboutissent pas encore au niveau de la littérature moderne comme À la recherche du temps perdu (ou Ulysse ou Tandis que j’agoisse), elles délimitent presque la frontière de la complexité de l’expérience filmique dans une simple séance. Au-delà de cette frontière, le film court le risque d’être obscur – il n’est simplement pas possible de recevoir toutes les informations et tous les impacts émotionnels dans une période du temps tellement courte. Et si le film ne peut pas rivaliser avec la littérature dans cet aspect, il nous offre néanmoins des possibilités nouvelles que Robbe-Grillet emploie dans ses films ultérieurs.
Robbe-Grillet le formalise
Un grand nombre de critiques ont remarqué que Robbe-Grillet est particulièrement obsédé par la précision des rapports spatiaux. Quelle est la signifiance de cette ‘obsession’? On fait des conjectures, mais aucune ne m’apparaît satisfaisante, car elles visent toutes à établir le texte de Robbe-Grillet comme une interprétation métaphysique du monde. Mais la solution est évidente si nous nous demandons quels sont exactement les rapports spatiaux, sinon les aspects formels d’une construction : la forme, la frontière et la distance mesurable? Toutes ces caractérises ne sont pas métaphysiques, comme nous l’avons analysé dans l’autre essaie en profondeur, mais reflètent une tendance technique, une inclination à établir les rapports formels dans un continuum spatio-temporel. Bref, Robbe-Grillet voit le mode avec un formalisme méticuleusement établi. Contrairement à Sarraute et à Duras qui a définitivement une sorte de noyau émotionnel à exprimer, pour Robbe-Grillet il n’y a rien dans ce monde plus signifiant que la forme elle-même :
Je sens que j’ai à dire, et non pas que j’ai quelque chose à dire. Il y a des gens qui sont là et j’ai à leur parler, j’ai besoin de prendre la parole, par mes films ou mes romans, mais en même temps je ne sais pas ce que j’ai à dire; car, si je le savais, je n’aurais rien à faire avec la littérature ou le cinéma de fiction. Si j’avais quelque chose à dire, je ne choisirais certainement pas de m’aventurer dans ces exercices problématiques, fuyants et toujours difficiles à interpréter que sont le récit romanesque ou cinématographique.[63]
Comme pour confirmer Robbe-Grillet, Metz remarque aussi qu’avoir quelque chose à dire n’est que ‘préparatoire’ :
[…]dans toute oeuvre d’art le monde représenté (dénoté) ne constitue jamais l’essentiel de ce que l’auteur «avait à dire». C’est un palier préparatoire; dans les arts non représentatifs, il fait même défaut : l’art de la pierre et l’art du son ne désignent rien. Quand il est présent, il ne sert qu’à mieux introduire le monde exprimé : style de l’artiste, rapport de thèmes et de valeurs, «accent» reconnaissable; bref, univers du connoté.[64]
Pour Robbe-Grillet, cette attitude était claire du début de sa carrière de réalisateur:
On imagine bien, à la limite, une scène où les paroles et les gestes seraient particulièrement anodins et disparaîtraient tout à fait dans le souvenir du spectateur, au profit des formes et du mouvement de l’image, qui auraient seuls de l’importance, qui sembleraient seuls avoir une signification. C’est ce qui fait, justement, que le cinéma est un art: il crée une réalité avec des formes. C’est dans sa forme qu’il faut chercher son véritable contenu.[65]
Quant au roman, il continue:
Il en va de même pour toute oeuvre d’art, dans un roman par exemple. Le choix d’un mode de narration, d’un temps grammatical, d’un rythme de phrase, d’un vocabulaire, y a plus de poids que l’anecdote elle-même. Aussi n’imagine-t-on pas un romancier qui se contenterait de fournir une anecdote à un metteur-en-phrases qui, lui, rédigerait le texte à livrer au lecteur.[66]
Cet attachement pour la forme est sans doute touchant. Mais il va mieux de substituer ‘on’ avec ‘je’, ‘il faut’ avec ‘je m’oblige’, car bien que ce qu’ a dit Robbe-Grillet soit psychologiquement possible, ce n’est pas le cas pour tout le monde[67]. Une demie siècle d’avant-garde prouve du moins une chose: la perception de la valeur narrative, vic., l’anecdote dans le cinéma et le roman, est incontestable. Robbe-Grillet n’est pourtant pas prétentieux. Car pour les Nouveaux Romanciers, ou bien n’importe quel écrivain contemporain, l’histoire est une place où ils peuvent contribuer le moins. Un écrivain est bien obligé de considérer ce fait alors qu’ un lecteur ne peut pas s’en soucie moins – son plaisir de lecture n’est pas lié nécessairement aux critères esthétiques de notre époque.
De plus, bien que ce soit vrai que le discours narratif d’une société est assimilable à l’ordre moral et politique dans lesquels il respire et que la pointe de vue actuelle qui manifeste être humaine dans un monde unilinéaire, continue et rational avait été forgée par la naissance (ou plutôt la prise du pouvoir) de bourgeois, la demande de changement n’est pas impérativement fondée. La classe bourgeoise est loin d’être mourante, ni elle est en train de perdre sa dominance. Même si elle cesse d’être la juge finale de l’esthétique contemporaine, il reste encore de la possibilité qu’elle coexiste avec les autres pendant longtemps. Ce n’est point étonnant que les lecteurs de notre siècle soient fascinés par les normes établies en 19ième siècle – sauf quelques aspects techniques, dans quelle mesure notre société a-t-elle fait du progrès signifiant? Robbe-Grillet a raison de dire et redire qu’il faut renouveler la forme, mais il évidemment ignore le fait que les motifs de l’innovation formelle ne sont pas profondément enracinés en tout le monde comme en lui.
Finalement, la considération formelle est rarement employée consciemment dans l’écriture. La conscience du style est non seulement un événement historiquement assez récent, mais aussi, pour des écrivains individuels, n’arrive qu’après le choix stylistique s’est manifesté clairement. Robbe-Grillet ne fait pas d’exception pour cette règle. Balzac, l’ennemi public notoire des Nouveaux Romanciers, ne médite apparemment jamais sur sa mode de narration car il n’avait vraiment pas de choix et l’ambition non plus dans ce sujet particulier. Il en va de même pour des écrivains dits modernes au début du siècle.[68].
En littérature ou en cinéma, l’auteur vise toujours à attendre une compréhension, une réconciliation dans la lutte fictive avec la forme et son développement. Pour Robbe-Grillet et bien d’autres, cette lutte est accentuée par le refus et la méprise du monde extérieur. Plus les spectateurs ne croient pas en la réalité matérielle qu’ils voient ou entendent, plus les auteurs se sentent nécessaires à signifier que cette réalité est en fait totalement fictive. Si tous les romanciers sont plus ou moins d’accords que le fictif, directement lié au développement de la forme, n’est pas nécessairement contre l’authenticité et qu’il n’est pas opposé par le réel puisqu’il vise en sa façon à définir le rapport entre notre esprit et le monde réel, ce n’est pour Robbe-Grillet que ce développement soit devenu la réalité suprême de toute littérature ou création artistique.
* * * *
Nous avons vu que l’évolution du ciné-roman, au moins dans le cas de Robbe-Grillet, a produit un dilemme et de diverses tentatives à le résoudre: comment le texte peut-il reproduire l’effet combiné des images et des sons? Faut-il être précis techniquement ou expressif littérairement? Il ne faut pas juxtaposer la littérature et le cinéma, Robbe-Grillet insiste-t-il toujours, car la juxtaposition crée souvent davantage de confusion, mais en dépit de toutes les distinctions entre la littérature et le cinéma, ils sont effectivement comparables et partagent bien de particularités, comme l’a proposé Christian Metz (et la comparaison sera utile si nous ne en toute hâte lançons de nouvelles catégories ou des systèmes prescriptifs):
[…]l’art du film se retrouve au même «étage» sémiologique que l’art littéraire : les agencements et contraintes proprement esthétiques – ici versification, composition, figures…, là cadrages, mouvements d’appareil, «effets» de lumière… -- font office d’instance connotée, et celle-ci vient se superposer à un sens dénoté, représenté en littérature par la signification proprement linguistique qui s’attache, dans l’idiome utilisé, aux unités employées par l’écrivain --, et au cinéma par le sens littéral (c’est-à-dire perceptif) des spectacles que reproduit l’image, ou des bruits que reproduit la «bande-son».[69]
C’est sûrement sur ce point de départ que le ciné-roman établît sa validité, maintenant en équilibre précaire un mélange des styles assez incompatibles. D’un autre point de vue, ciné-roman peut être considéré comme un genre commissionnaire qui est chargé de son maître littéraire à délivrer un message important à une destination qui lui est plutôt exotique, le château du cinéma. Ce voyage – l’évolution du ciné-roman – plein d’espoirs et de frustrations nous démontre à quelle mesure le missionnaire a exécuté la mission et à quelle mesure la mission a, en ce même processus, transformé le missionnaire.
Nous assistons à un siècle caractérisé par la constante fusion de texte et image. Où va cette fusion? Quelles sont les possibilités, les potentiels qui vont se manifester dans un futur assez proche? Nous espérons que cet aperçu très bref nous offre un point de départ sur ces préoccupations. Nous espérons, peut-être non pas sans raison, que l’évolution bien brève du ciné-roman est en quelque sorte sinon représentative, du moins utile à cette cause. Nous avons choisi Robbe-Grillet, car bien que le ciné-roman ne soit peut-être pas sa création exclusive, mais il n’y en a pas beaucoup qui a apprécié et cherché la qualité formelle dans le roman aussi bien que dans le cinéma. Robbe-Grillet, le formaliste intransigeant de notre temps, était et sera le Sisyphe de notre monde littéraire encore dominé par l’esthétique bourgeoise.
Bibliographie d'Alain Robbe-Grillet
TEXT… | Ou… | Image | ||||||||||||||
Un régicide, Paris, Minuit, [1949] 1978, 227 p. Les Gommes, Paris, Minuit, 1953, 264 p. Le Voyeur, Paris, Minuit, 1955, 255 p La Jalousie, Paris, Minuit, 1957, 218 p. Dans le labyrinthe, Paris, Minuit, 1959, 221 p. Instantanés, Paris, Minuit, 1962, 109 p. | | |||||||||||||||
| L'Année dernière à Marienbad, Paris, Minuit, 1961, 172 p. | | ||||||||||||||
Pour un nouveau roman, Paris, Minuit, 1963, 144 p. | L'Immortelle, Paris, Minuit, 1963, 210 p. | L'Immortelle, 1963. | ||||||||||||||
La Maison de rendez-vous, Paris, Minuit, 1965, 215 p. | | | ||||||||||||||
| Trans-Europ-Express, 1966. | |||||||||||||||
L'Homme qui ment, 1968. | ||||||||||||||||
Projet pour une révolution à New York, Paris, Minuit, 1970, 214 p. | | L'Éden et après, 1970 | ||||||||||||||
| Rêves de jeunes filles, avec des photographies de David Hamilton, Paris, Robert Laffont, 1971, 144 p. | N. a pris les dés, 1971. | ||||||||||||||
| Les Demoiselles d'Hamilton, avec des photographies de David Hamilton, Paris, Robert Laffont, 1972, 135 p. | Glissements progressifs du plaisir, 1973. | ||||||||||||||
| Glissements progressifs du plaisir, Paris, Minuit, 1974, 220 p. | |||||||||||||||
| Construction d'un temple en ruine à la déesse Vanadé, avec des eaux-fortes et des pointes sèches de Paul Delvaux, Paris, Le Bateau Lavoir, 1975 [texte repris dans Topologie d'une cité fantôme et Souvenirs du triangle d'or], 105 p. | Le Jeu avec le feu, 1975. | ||||||||||||||
| Topologie d'une cité fantôme, Paris, Minuit, 1976, 201 p. | La Belle Captive, avec des peintures de René Magritte, Lausanne, La Bibliothèque des Arts, et Bruxelles, Cosmos Textes, 1975, 151 p. | | |||||||||||||
| | | ||||||||||||||
| Temple aux miroirs, avec 85 photgraphies d'Irina Ionesco, Paris, Seghers, 1977, 128 p. | | ||||||||||||||
| Souvenirs du triangle d'or, Paris, Minuit, 1978, 237 p. | Traces suspectes en surface, avec 25 lithographies originales de Robert Rauschenberg, West Islip, Universal Limited Art Editions, 1978, 35 p. | | |||||||||||||
Djinn. Un trou rouge entre les pavés disjoints, Paris, Minuit, 1981, 146 p. | | |||||||||||||||
Le Rendez-vous, avec Yvonne Lenard, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1981, 184 p. | ||||||||||||||||
| La Belle Captive, 1983. | |||||||||||||||
Le Miroir qui revient, Paris, Minuit, 1984, 232 p. | | |||||||||||||||
Angélique ou l'Enchantement, Paris, Minuit, 1987, 254 p. | ||||||||||||||||
Les Derniers Jours de Corinthe, Paris, Minuit, 1994, 238 p | | Un bruit qui rend fou, 1995. | ||||||||||||||
| Taxandria, 1995. (Écrit avec Raoul Servais, Frank Daniel) | | ||||||||||||||
La Reprise, Paris, Minuit, 2001, 253 p. | C'est Gradiva qui nous appelle, Paris, Minuit, 2002, 160 p. | | ||||||||||||||
Le Voyageur. Textes, causeries et entretiens (1947-2001), Paris, Christian Bourgois, 2001, 550 p. | | C'est Gravida qui vous appelle, 2004. | ||||||||||||||
| Scénarios en rose et noir (1966-1983), Paris, Fayard, 2005, 711p. | | ||||||||||||||
Préface à une vie d’écrivain, Paris, Seuil, 2005, 226p. | ||||||||||||||||
[1] Numéro spécial : « Film et roman, problèmes du récit». N° 185. 1966.
[2] William Van Wert, The theory and practice of the ciné-roman, New York Arno Press, p22.
[3] Bruce Morrisette, Novel and film. The
[4] Ces collaborations incluent, pour les courts métrages : Guernica (50) avec Paul Eluard, Les statues meurent aussi (53) avec Chris Marker, Nuit et Brouillard (55) avec Jean Cayrol, Le chant du styrène (58) avec Raymond Quneau; pour les longs métrages: Hiroshima Mon amour (59) avec Duras, L’année dernière à Marienbad (61) avec ARG, Muriel (63) encore avec Jean Cayrol, La guerre est finie (66) avec Jorge Semprun, Je t’aime je t’aime (68) avec Jacques Sternberg. The list goes on and on.
[5]Ce film a été dans le programme d’une rétrospective de Vagda à la cinémathèque québécoise il y a quelques mois. La séance a été précédée par la présence d’Agnes Varda et son bref discours dans lequel, je me souviens, elle nous a informés comment elle avait demandé Resnais à faire le montage de son film et, remarquant notre réaction, nous a rappelé avec bienveillance que Resnais avait été un monteur en 1955. Avec l’apparition de
[6] Scénariste, romancier et réalisateur, Marcel Pagnol est une figure représentative de la narration bourgeoise contemporaine en
[7] Agnes Varda, Cléo de 5 à 7, Gallimard, 1962, p7.
[8] Ibid.
[9] Alain Robbe-Grillet, L’immortelle. Minuit, p.5.
[10] Alain Robbe-Grillet, Glissements progressifs du plaisir. Minuit, p.9.
[11] Alain Robbe-Grillet, C’est Gradiva qui vous appelle. Minuit.
[12] Alain Robbe-Grillet, L’immortelle. Minuit, p.6
[13] C’est surtout le cas avec L’immortelle. Beaucoup de descriptions qui incluent des objets ou des mouvements signifiants sont difficiles à remarquer. À mon avis, c’est un manque d’expérience en dirigeant l’attention visuelle et en équilibrant les symboles sur l’écran. Dans ses films qui suivent cette est considérablement améliorée.
[14] De plus, si la lecture du ciné-roman contredit mon impression du film, dois-je ‘corriger’ mon impression puisque c’est le texte qui reflète mieux l’intension originelle de l’auteur, ou bien dois-je adhérer à l’impression, car c’est le film qui est l’oeuvre?
[15] La performance libre de l’imagination est essentielle à atteindre l’harmonie, selon Kant.
[16] La partition, ou la notation d’une composition musicale est purement dénotative pendant que le langage, même celui de Robbe-Grillet, est bien connotatif.
[17] À proprement parler, seulement L’immortelle est divisé en plans. Le découpage de L’immortelle est définitif pendant que celui de L’année dernière est suggestif. À ma connaissance, Robbe-Grillet ne change rien pendant le tournage de L’immortelle et une comparaison détaillée révèle la même conclusion: sauf dans une occasion le dialogue est différent (p284), mais il m’apparaît d’être une erreur typographique.
[18] La différence d’esthétique entre le cinéma et le théâtre est un problème majeur dans la théorie classique du film. Mais même aujourd’hui la production et la méthode de théâtre sont constamment transférées au cinéma avec beaucoup de succès – n’est-il pas étrange? S’il faut nier tout qui vient de théâtre, faut-il brûler Bergman, Jacques Rivette, Michael Haneke, car la plupart de leurs puissances sont évidemment théâtrales?
[19] Cela ne semble pas assez révolutionnaire et certainement moins impressif que L’année dernière à Marienbad, mais admettons-le, Cinéma des auteurs est jamais sans dialogue – Resnais, Varda, Chris Marker – pas d’exception.
[20] Alain Robbe-Grillet, Glissements progressifs du plaisir. Minuit, p.9. Je souligne.
[21] Glissements progressifs du plaisir consiste en trois parties dans la succession de leur ordre de l’apparition chronologique: le synopsis qui est proposé au producteur; la continuité dialoguée, substitut d’un découpage détaillé; le relevé du montage, une transcription numérotée de plan à plan relevé du montage définitif (sans sons). Ce dernier est un document très pratique qui existe toujours, mais qui n’est pas toujours publié.
[22] Il s’agit de relever les scènes selon leurs ordre chronologique et donner leur cohérence dans la narration générale. Les aspects techniques ne sont que brièvement touchés .
[23] Obliques, Nos 16-17, 1978.
[24] Scénarios en rose et noir, p151.
[25] Ibid. p.154.
[26] Ibid. p.155-158. Voir aussi Le voyageur, pp77-80.
[27] Ibid. p.160. Le voyageur, p. 81.
[28] À cause de cette décision, l’influence de Robbe-Grillet, ou
[29] Le voyageur, p. 83.
[30] Duras par exemple adapte constamment ses romans pour le grand écran. Robbe-Grillet déclare cependant qu’il ne le fera jamais.
[31] Pourtant, l’inverse est possible. Morrissette a nommé deux occurrences : Les Tricheurs de Marcel Carné a été adapté au roman par Françoise d’Éaubonne, qui recherche à rétablir dans la narration toutes les procédures conventionnelles du roman : dialogue intérieur, mémoire et pensée des personnages. Cependant, c’est l’absence de tout cela qui constitue à une modernité, sinon une supériorité de la version cinématographique.
[32] L’année dernière à Marienbad. P. 9
[33] N’oublions pas que dans le mouvement dada et surréaliste, l’expérimentation visuelle et scripturale sont liées l’une à l’autre.
[34] La vraie nature du ciné-roman existe avant que le ciné-roman n’émerge comme un genre littéraire et en fournit la validité.
[35] Robbe-Grillet s’est fâché voyant que le caméraman n’était pas disposé à réaliser son idée originelle que la chambre elle-même devrait complètement obscure pendant que le chenal
[36] Alain Robbe-Grillet, C’est Gradiva qui vous appelle. Minuit, p9.
[37] Ibid.
[38] Le film est, comme le nomme l’indique déjà, une anagramme d’Eden et après, fait pour TV en
[39] Scénarios en rose et noir, p11.
[40] Dimitri de Clercq a été un étudiant à l’université de
[41] Alain Robbe-Grillet, C’est Gradiva qui vous appelle. Minuit.
[42] Même Michelangelo Antonioni, un homme avec considérable talent, une fois se trouvant dans un fauteuil roulant et incapable de parler, aurait dû abandonner la tâche de tourner un film.
[43] L’instance de Taxandria est exclue, car le scénario complète, même avec un story-board (le projet appartient à Raoul Servais, un animateur), est offert à Robbe-Grillet. Ce sera intéressant de voir comment Robbe-Grillet avait transformé l’histoire (des figures femelles sont ajoutées), mais je suis sûr que ce projet ne ressemble pas de toute façon à un ciné-roman.
[44] Roland Barthes, Littérature objective. Essai Critique p34.
[45] Roudolf Arnheim, Film as Art.
[46] Voir Revues des Lettres Modernes, numéro spécial ‘cinéma et roman’, 1958, no 36-38. Ou Bruce Morissette. The novels of Robbe-Grillet, p186. footnote 2. Ou encore, Bruce Morissette Novel and film. p51-56.
[47]The lady in the lake en est un bon exemple. Morissette conclure que ‘the culmination of this effort in the lady in the lake not only fails as cinéma, but also serves to elucidate several fundamental differences between the two genres. Ibid. p46.
[48] Il en va de même pour Duras.
[49] Voir bibliographie. L’année dernière et N a pris le dès sont exclus.
[50] Voir Bibliographie. Cette période de ‘travailler pour l’image’ se prolonge jusqu’à la fin de 70s et elle produit un changement de style non méconnaissable lorsque Robbe-Grillet revient finalement aux romans. Les descriptions verbeuses qui règnent ses premières oeuvres ne sont pas complètement éliminées, mais elles m’apparaissent ‘réglées’.
[51] Samy Halfon est le producteur de Hiroshima mon amour et par conséquence le producteur de la plupart de films de Robbe-Grillet. Ce projet existe avant la collaboration avec Resnais, sur une condition qu’on tourne le film à
[52] Dans le labyrinthe. Minuit. Je souligne.
[53] L’année dernière à Marienbad. Edition J’ai lu, p.23, 25, 27. Je souligne.
[54] Dans le labyrinthe. p.26 et p.219. Je souligne.
[55] La scène n’est pas la même dans le ciné-roman et une description similaire ne se trouve qu’à page 61, mais l’idée est que Resnais a réarrangé librement les matériaux et en le faisant, a gardé l’intention originelle de Robbe-Grillet.
[56] L’immortelle, pp278-279. Je souligne.
[57] Parce qu’un mot est toujours comme un autre, ne possédant pas intrinsèquement un sens de proportion.
[58] J’ai l’impression que Claude Simon est aussi obsédé décrivant les images et qu’il a besoin d’immobiliser les êtres vivants afin de pouvoir décrire en détail.
[59] Le langage imagier correspond aux caractéristiques d’une image pendant que le langage cinématographique, qui consiste en montage et d’autres techniques, n’est pas dénotatif mais connotatif.
[60] Christian Metz, Essai sur la signification au cinéma, Tome I. Paris Éditions Klincksieck. 1971, p79.
[61] Voir page 157-159 de L’immortelle.
[62] Dans le labyrinthe. p.103.
[63] Textes inédits. Cité par André Gardier, Alain Robbe-Grillet. P.109.
[64] Christian Metz, Essai sur la signification au cinéma, Tome I. Paris Éditions Klincksieck. 1971, p80.
[65] L’année dernière à Marienbad. p.6.
[66] Ibid.
[67] Le formalisme en art n’est jamais la seule possibilité et de plus, n’a jamais été la considération dominante.
[68] Par exemple, Thomas Mann est généralement considéré comme un écrivain moderne. Pour Mann la considération stylistique n’est pas non existante, mais cela ne fait jamais la préoccupation majeure de son écriture. En fait, les changements radicaux de la forme littéraire ne se produisent qu’à 1920s, presque le même temps que le cinéma émerge de l’ombre du divertissement peu intellectuel, et ne se déclenchent que par intermittence à travers du siècle. C’est donc presque une exagération que Robbe_Grillet opte pour une révolution.
[69] Christian Metz, Essai sur la signification au cinéma, Tome I. Paris Éditions Klincksieck. 1971, p99.
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